mardi 27 mars 2012

Rimbaud. Morceau de l'enfer


L’ennui n’est plus mon amour. Les rages, les débauches, la folie, dont je sais tous les élans et les désastres, — tout mon fardeau est déposé. Apprécions sans vertige l’étendue de mon innocence.
Je ne serais plus capable de demander le réconfort d’une bastonnade. Je ne me crois pas embarqué pour une noce avec Jésus-Christ pour beau-père.
Je ne suis pas prisonnier de ma raison. J’ai dit : Dieu. Je veux la liberté dans le salut : comment la poursuivre ? Les goûts frivoles m’ont quitté. Plus besoin de dévouement ni d’amour divin. Je ne regrette pas le siècle des cœurs sensibles. Chacun a sa raison, mépris et charité : je retiens ma place au sommet de cette angélique échelle de bon sens.
Quant au bonheur établi, domestique ou non... non, je ne peux pas. Je suis trop dissipé, trop faible. La vie fleurit par le travail, vieille vérité : moi, ma vie n’est pas assez pesante, elle s’envole et flotte loin au-dessus de l’action, ce cher point du monde.
Comme je deviens vieille fille, à manquer du courage d’aimer la mort !
Si Dieu m’accordait le calme céleste, aérien, la prière, — comme les anciens saints. — Les saints ! des forts ! les anachorètes, des artistes comme il n’en faut plus !
Farce continuelle ! Mon innocence me ferait pleurer. La vie est la farce à mener par tous."

Arthur Rimbaud. Extrait de "Mauvais sang", dans Une saison en Enfer

dimanche 11 mars 2012

Des fois on tombe sur des parallèles inattendus.

  Le livre de l'intranquillité de Fernando Pessoa; mon livre de chevet pendant un bout de temps …
et les photos d'Hedi Slimane, ou, pour être plus sincère, des photos en tout genre, du moment qu'elles mettent en scène ces garçons dont je ne me lasse pas de parler (haha).
  Garçons souvent sublimés par la photo d'ailleurs, qui, par les jeux de lumières, de formes, de contrastes, révèle – et créée en partie – ce qui constitue l'essence de leur beauté.

Photo d'Hedi Slimane (obviously).

Je me tais. Laissons la parole à ce cher Pessoa.

« 

« L'amant visuel »

   J'ai, de l'amour profond et de son bon usage, une notion superficielle et décorative. Je suis enclin aux passions visuelles. Je garde intact un cœur voué à de plus irréelles destinées.
   Je ne me souviens pas d'avoir aimé, chez quelqu'un, autre chose que le « tableau », l'extérieur pur et simple, où l'âme n'intervient que pour animer cet extérieur, le faire vivre, et le rendre ainsi distinct des tableaux faits par les peintres.
   C'est ainsi que j'aime : je fixe une image que je trouve belle, attirante ou, pour une raison ou pour une autre, aimable, une image de femme ou d'homme – là où il n'y a pas de désir il n'y a pas de préférence pour un sexe -, et cette image alors m'obsède, me captive, m'envahit complètement. Pourtant, je ne veux rien d'autre que la voir, et ne détesterais rien tant que la possibilité de connaître et de parler à la personne réelle dont, apparemment, cette image est la manifestation.
   J'aime du regard, et pas même avec mon imagination, car je n'imagine rien de cette image qui me séduit. Je ne m'imagine lié à elle en aucune façon car mon amour, purement décoratif, ne comporte rien de plus psychique. Cela ne m'intéresse pas de savoir qui est, ce que fait, ce que pense cette créature qui me donne à voir son aspect extérieur.
   L'immense série de personnes et de choses qui constitue le monde est pour moi une galerie de tableaux sans fin, dont l'intérieur ne m'intéresse pas. Il ne m'intéresse pas parce que l'âme est monotone et toujours la même chez tout le monde; seules en diffèrent les manifestations individuelles, et la meilleure part en est ce qui déborde dans le visage, l'allure et les gestes, et pénètre ainsi dans le tableau qui me séduit, et auquel je m'attache de manière diverse mais avec constance.

   Pour moi un être humain n'a pas d'âme. Son âme ne regarde que lui seul.

   Et je vis ainsi, vision réduite à l'état pur, à l'extérieur animé des choses et des êtres, indifférent, tel un dieu d'un autre monde à leur contenu-esprit. Je n'approfondis que la surface et son aspect extérieur. C'est en moi et des ma conception des choses que je la cherche.

(…)

   Le contact personnel me prive de la liberté de contempler tout à loisir, comme l'exige ma façon d'aimer. Mais on ne peut fixer ou contempler en toute liberté quelqu'un que l'on connait personnellement
  Tout élément superflu est une gêne pour l'artiste, car il amoindrit l'effet en le brouillant.
   Mon destin naturel de contemplateur, indéfini et passionné, des apparences et de la manifestation des choses – objectiviste des rêves, amant visuel des formes et des aspects de la nature […] »

Il semble difficile de partager entièrement son point de vue. Qui n'est d'ailleurs pas celui de Pessoa, mais de l'un de ses hétéronymes, Bernardo Soares. Ce dernier est, comme l'explique Pessoa, « la manifestation d'un phénomène » : celui de « l'inadaptation à la réalité de la vie ».

Ce qui transparait clairement dans un autre passage du texte :

«    L'humanité est pour moi un vaste motif purement décoratif, que je vis par les yeux et les oreilles, et grâce aussi à l'émotion psychologique. Je ne demande rien d'autre à la vie que d'y assister en spectateur – et je ne demande rien d'autre à moi-même que d'assister à la vie.
   Je suis comme un être venu d'une autre existence et qui passe, indéfiniment intéressé, en traversant cette vie-ci. En tout, je lui demeure étranger. Il y a entre elle et moi une sorte de vitre. Je voudrais que cette vitre soit toujours parfaitement claire, afin d'examiner la vie sans la gêne d'un objet intermédiaire, mais je veux toujours cette vitre. »

L'effet que produit sur moi les textes de Pessoa est ambivalent, et envoûtant : happée par la justesse et la beauté de sa prose, je m'identifie totalement à ses mots, j'adopte son point de vue, en ayant l'impression qu'il a toujours été le mien, et que je viens seulement, grâce au texte, de le découvrir.
C'est seulement après coup que je parviens à reprendre une certaine distance, à cerner ce qui me démarque, malgré tout, de ce « Soares-Pessoa ».

Comme ici par exemple. Pour lui, l'idéal est que la population entière lui reste inconnue; il peut alors la contempler comme bon lui semble, de façon purement visuelle. Et cette façon d'aimer est la seule dont il ait envie, dont il soit capable. Pour le coup, ce n'est pas mon cas. Si je peux me retrouver, dans sa posture d'« amant visuel », c'est seulement en ce qui concerne les inconnus - des personnes croisées dans la rue, dans des films, des photos,... 
 Et cette posture est une sorte d'amour « par défaut », à défaut de pouvoir connaître la personne. Ou plutôt, non, pas par défaut. Juste une autre sorte d'amour, entre le fantasme et la contemplation, d'une nature différente de celui que je peux avoir pour des personnes que je connais.


Enfin, ce qui compte dans tout ça, c'est la façon dont ce Pessoa  - comme l'art en général - peut, à travers ses écrits agir sur notre compréhension des choses; la perturber, l'approfondir, la remodeler. 
Aidé de notre imagination, l'art libère notre vision du monde de ses carcans habituels et de ses préjugés, qui la simplifie et l'enlaidisse. 
Alors on peut très bien s'en passer; mais quand on connait cette alchimie dont il est capable, il devient difficile de ne pas le considérer comme essentiel. 
   

samedi 10 mars 2012

Hedi Slimane




D'abord j'étais amoureuse de ses modèles.

Puis de ses photos.

Puis de lui.

Si absent, discret, et pourtant si influent. Je comprends pourquoi Garancé Doré l'a, dans un de ses articles, comparé à un Dieu. Il est partout, sans qu'on le sache. Le slim, si étrange au début, et qui a peu à peu envahit les cours des lycées, les rues... ? C'est lui. L'allure à la fois dandy, moderne et rock comme celle de la marque The Kooples ? Ou d'un Pete Doherty ? C'est lui. 
Il a inventé cette silhouette quand il était styliste à Dior Hommes, de 2000 à 20007.
Enfin j'exagère, il y a sûrement eu des influences réciproques, entre ce monde de la scène rock anglaise, qu'il cotoie, et ce style qu'il a créé.

L'une des ses forces réside dans le fait que sa création ne se limite pas aux seuls habits; ils ne sont que le support d'un état d'esprit, d'une allure, d'une certaine définition de l'homme.
 Haha. Après avoir tant fantasmé sur Cole Mohr, je découvre qu'il est l'un des favoris d'Hedi Slimane. Il ouvre son défilé, , par exemple. 
Coïncidence ? Non. Et ma fascination pour ce créateur vient probablement de là : c'est lui qui a inventé, sans que je le sache, ce que j'ai peu à peu défini comme mon « idéal masculin ». Les garçons qui arrêtent mon regard dans la rue son ceux qui correspondent à ces codes qu'il a créé.
Et en même temps, ce n'est pas si étonnant. Il n'a pas eu un tel succès pour rien, et ces codes ont envahis l'univers de la mode. Univers qui a, par définition, une influence (plus ou moins forte selon les personnes j'imagine) sur notre définition de la beauté.
Mais à choisir, je suis bien contente d'être tombée sous son influence à lui en fait (c'est dire à quel point j'ai intériorisé le truc).

Puis il s'est retiré. Il vit une vie « quasi-monacale » comme j'ai pu le lire dans un article. Il ne fume pas, ne boit pas. Aucune information sur sa vie privée, il donne très peu d'interviews, ou préfère y répondre par mail.
Mais il a un site internet, un journal intime.. photographique.Tient, ce concept, c'est aussi l'une de ses inventions.

Si la rareté des informations alimente la fascination qu'il peut m'inspirer, le mystère n'est pas la seule chose qui m'attire chez lui.
Bon, déja il est beau. Et étrange, avec ces grands yeux, souvent cernés, ses traits fins, ce regard affûté. 



Et puis il voulait être grand reporter, jusqu'à son échec en hypokhâgne lorsqu'il voulait entrer à Science Po Paris. Alors il s'est dirigé vers des études d'arts, il est allé à l'École du Louvre. Ce qui ne me semble pas anodin. Cette formation a sans doute fortement contribué à l'invention, à la construction de son regard si singulier. Il a sa propre vision des choses; épurée, moderne, alliant le beau et le trash, la débauche et la plus grande discipline. Contrastes, contradictions, qui transparaissent par exemple dans ses magnifiques photos en noir et blanc, mais aussi, et plus généralement, qui imprègnent l'ensemble de ses créations. 

Et je me sens un peu comme un groupie; je suis remontée au tout début de son « diary », et regarder les photos est aussi agréables … que frustrant. Je l'imagine à chaque fois, derrière l'objectif, je m'imagine voir à travers son regard, et en même temps, aucun autoportrait, pas un mot, seulement des dates, des photos. Encore un paradoxe, ce journal est tout sauf intime. Ses photos, souvent distantes, minimalistes, comme baignées de silence, ne semblent rien nous révéler sur lui. 
Si ce n'est son regard, sa vision du monde; mais peut-être est-ce l'essentiel. 

Il doit effectivement y avoir quelque chose de divin en lui; pour être, à ce point - et, récemment, surtout à travers son site -  si présent et si insaisissable.

Et si, ces dernières années, il a quand même beaucoup brillé par son absence, cela ne devrait plus durer très longtemps.


James Blake & Bon Iver. Falls Creek Boys Choir



All went in the fire, drowning the sea
A red dawn, oh, red font
Caught up in the sea, all went in the sea
If only, if only, if only, if only

Did you want to find a away [fight] [fly away]
I always saw me love
I will be love befallen
I will lay my teeth
 I'll wait for growing
And we both will know, and before you're all gone

Daring on the peak, telling on the teeth
I've been down to the open road
I'll wait for you, you know and we both end up alone
And if only we could have known

I will haa

All went in the fire, drowning the sea
A red dawn, oh, red font
Caught up in the sea, all went in the sea
If only, if only, if only, if only

 I was effin' low